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THE TRAIN (1964)

(1) critique (2) commentaires
Manu le 24/09/2011 à 16:45
4.8
Réalisé par John Frankenheimer
Avec Burt Lancaster, Paul Scofield, Jeanne Moreau, Suzanne Flon, Michel Simon.
Film américain
Genre : Guerre, drame
Durée : 2h 13min.
Année de production : 1964
Titre français : Le Train
Musique : Maurice Jarre

Sortie Cinéma France : 22/09/1964
Sortie DVD France : n.c.

Les notes

4.8



 Critique THE TRAIN (1964)
Avis rédigé par Manu   |  le .   |  Note : 4.8
Le Train est, du propre aveu de John Frankenheimer, le film qui « a changé le cours de [son] existence », celui qui va lui ouvrir les portes de son futur pays d’adoption, la France, et qui sera indirectement à l’origine de projets tels que Grand Prix, French Connection 2 ou bien encore Ronin. Et pourtant, assez bizarrement, cette première grosse production internationale du cinéaste, considérée à juste titre comme l’une de ses œuvres majeures, est davantage le fruit d’un concours de circonstances que celui d’un choix longuement mûri de la part de son auteur.

En effet, courant 1963, le cinéaste reçoit un appel en provenance d’Europe de Burt Lancaster. Le producteur Jules Bricken et lui viennent de remercier le réalisateur Arthur Penn avec lequel ils tournaient Le Train, un drame de la résistance s’inscrivant plus ou moins dans la vague des grosses productions guerrières américaines lancée en 1962 par le succès du Le Jour le plus Long. Et, comme il l’avait déjà fait deux ans auparavant sur Le Prisonnier d’Alcatraz, l’acteur pense à John Frankenheimer pour assurer la reprise du projet. Celui-ci récupère le script, le lit et le juge épouvantable. Il sera par conséquent réécrit avant que le cinéaste ne s’envole pour Paris, se lançant ainsi dans son premier tournage hors des Etats-Unis.

Un tournage compliqué et onéreux qui s’étalera sur plusieurs mois, de l’hiver 1963 au printemps de l’année suivante. Fidèle à son souci de réalisme extrême, le cinéaste n’utilisera que de véritables locomotives tout au long du film, orchestrant notamment, dix à douze caméras à l’appuie, une mémorable séquence d’attaque aérienne au dessus d’un dépôt de train (et détruisant par la même occasion un site que le gouvernement français avait prévu de raser), ainsi qu’un véritable déraillement ferroviaire - sans doute la séquence la plus impressionnante du film, et la plus chère, le cinéaste y ayant involontairement sacrifié plusieurs caméras au passage. Enfin, en parallèle, John Frankenheimer trouvera le temps de se lier d’amitié avec Jean-Pierre Melville, une amitié dont on retrouvera 34 ans plus tard des échos formels dans son Ronin.

La première qualité du Train, la plus évidente en tous les cas, reste sans doute son soucis constant d’authenticité : authenticité du cadre : le film, en limitant au maximum les scènes de studio au profit d’extérieurs parisiens et provinciaux, s’éloigne en effet de l’habituelle imagerie d’Epinal propre aux films hollywoodiens tournés en France. Mais également authenticité de la trame. Celle-ci, basée sur le roman plus ou moins autobiographique de Rose Valland (interprétée par Suzanne Flon dans le film), Le Front du Rail, dépeints effectivement un bon nombre de faits historiques avérés, de l’occupant allemand ayant transformé pendant la guerre le musée du Jeu de Paume à Paris comme lieu de stockage de tous les tableaux de maître de la capitale (dont de nombreux confisqués à des familles juives françaises) aux efforts, finalement récompensés, de la résistance française pour stopper le précieux convoi ferroviaire en partance pour l’Allemagne. Seule falsification de l’Histoire : au lieu de faire revenir au point de départ leur train, au terme d’une grande boucle ferroviaire effectuée dans l’Est de la France, ainsi que le relate le film, la résistance française, après avoir noyée l’occupant sous un déluge de paperasse afin de retarder le plus longtemps possible le départ du convoi, se contentera en fait de faire tourner celui-ci autour de Paris dans l’attente de l’arrivée des Alliés. Sur cette liberté prise avec la réalité, le cinéaste s’explique dans l’ouvrage que lui a consacré Charles Champlin, John Frankenheimer : A conversation with Charles Champlin : « Aucun des décors naturels [autre que celui de la gare de Rive Reine] ne fonctionnait. [Nous] avons compris qu’il nous fallait rester ici. Nous avons donc révisé l’Histoire et prétendu que la résistance avait changé le nom des stations afin que le train fasse un cercle et revienne finalement à sa gare de départ ».

Soucis du détail qui sonne juste, longues séquences en simili temps réel, utilisation minimaliste de la musique, le tout filmé dans un noir et blanc tranchant : John Frankenheimer semble presque reprendre à son compte les techniques du néo-réalisme italien des années 50. Toutefois, l’intérêt du film ne s’arrête pas à la seule virtuosité de ses remarquables plans-séquences. Au–delà des prouesses purement techniques de la réalisation, comme de l’intérêt historique de l’intrigue ou de l’aspect spectaculaire de bon nombre de ses séquences, Le train demeure passionnant parce qu’il s’inscrit véritablement au cœur d’une des thématiques centrales de l’oeuvre de John Frankenheimer, celle de l’individu se soulevant seul contre une armée (ici au sens propre comme figuré). Comment, en effet, ne pas voir dans le personnage de Labiche - résistant sommé d’arrêter, à tout prix, y compris à celui de sa propre vie, un train chargé de tableaux de maître - une nouvelle variation du thème de l’homme pris au piège d’une mécanique socio-politique qui le dépasse et l’écrase inexorablement, mécanique représentée ici par la guerre en général et le régime nazi en particulier.

A travers les personnages de Von Waldheim, officier allemand amateur d’art, dont l’arrogance et l’obstination nous renvoient directement au personnage du Général Scott de Sept Jours en Mai, dans une version encore plus effrayante, et Labiche, résistant pragmatique, visiblement inculte dans le domaine de l’art et, pourtant, prêt à mourir pour ce qui ne représente rien à ses yeux, John Frankenheimer nous décrit deux malheureux qui, prisonniers pour l’un d’une obsession proche de la folie, pour l’autre d’une mission dont il ne peut se soustraire, semblent finalement se rejoindre dans les efforts dérisoires qu’ils déploient pour atteindre leur buts respectifs.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’on ne saura finalement rien de ce Labiche, comme de Von Waldheim. Aucun background chez eux, seul point de repère : cette volonté inébranlable qui semble les animer, guidée pour l’un par le patriotisme, pour l’autre par ses idéaux de grandeur. Et nul besoin de grand discours d’ailleurs : ces deux figures symbole de l’état de guerre n’ont quasiment pas d’existence propre et leur gesticulation incessante témoignent magistralement de leur incapacité à s’évader d’un monde étouffant de devoirs et de désirs.

Dans les rôles principaux, Burt Lancaster, le résistant, et Paul Scofield, l’officier allemand, signent deux prestations magistrales. Le premier, trouvant sans doute là l’un des rôles les plus physiques de sa carrière, assura lui-même l’intégralité de ses nombreuses cascades. Et, comble de l’ironie, c’est hors tournage, pendant une banale partie de golf, qu’il va se blesser au genou, obligeant alors John Frankenheimer à réorganiser son planning de tournage en fonction de l’état de récupération de l’acteur et à injecter dans l’histoire un nouveau rebondissement : cette balle de tir allemand que reçoit Labiche lorsqu’il abandonne le train juste avant la collision en gare de Rive-Reine.

L’un des aspects les plus surprenants du Train demeure certainement son audacieuse construction, en forme «d’entonnoir », qui réduit progressivement un sujet à grand spectacle, avec sa large galerie de personnages secondaires, à une intrigue minimaliste étonnement dépouillée, description clinique de l’affrontement à mort entre deux hommes. Les quinze dernières minutes du film, magistral anti-climax exempt de toute concession, comptent d’ailleurs parmi ce que John Frankenheimer a filmé de plus fort, de plus brut, dans toute son oeuvre. Une réussite à laquelle il convient également d’associer Burt Lancaster. En effet, le script d’origine prévoyait une classique confrontation armée entre les personnages de Labiche et Von Waldheim. L’heure venue de filmer celle-ci, John Frankenheimer décida qu’il fallait trouver une issue à cette histoire plus axée sur la réflexion et le suspense que sur l’action, quelque chose de « plus en accord avec le personnage de Von Waldheim et la personnalité de son interprète, Paul Scofield ». C’est alors que Burt Lancaster lui suggéra de faire commettre à Von Waldheim une sorte de « suicide verbal ». « Pourquoi on ne ferait pas parler [Scofield] jusqu’à ce qu’il en meurt ? ». « C'est-à-dire ? » lui rétorqua le cinéaste. « Et bien pourquoi on ne lui donnerait pas un long monologue dans lequel ce qu’il dirait reviendrait en fait à réclamer de la part de Labiche une exécution sommaire ». L’idée fut retenue et déboucha sur le résultat pré-cité.

Cette ultime intervention de Von Waldheim a en outre le mérite de brillamment synthétiser la réflexion centrale du film, sur l’art, la vie, et la valeur qu’on leur attribue : « La beauté appartient à l’homme qui sait l’apprécier … là, à cet instant, vous ne pourriez pas me dire pourquoi vous avez fait ce que vous avez fait … » lance le Colonel Von Waldheim à Labiche dans une ultime tentative de justification des actes barbares qu’ils a commis tout au long du film. La réponse de Labiche, immédiate, radicale, laisse sagement cette réflexion en suspens, John Frankenheimer se gardant bien, comme à son habitude, d’interférer dans les débats qu’il aime à soulever. Et, finalement, ne se dégage des derniers plans du film qu’une froide lucidité, une sourde inquiétude caractéristique des meilleurs travaux du cinéaste.

Témoignage d’une démarche exigeante et exemplaire au sein d’un genre – la superproduction guerrière – bien souvent englué dans les conventions du cinéma hollywoodien et généralement peu propice aux expérimentations visuelles et autres réflexions de fond, Le Train sera néanmoins principalement perçu à sa sortie en Amérique, au début du printemps 1965, comme un simple film d’action à gros budget. Celui-ci n’en a offrira pas moins à John Frankenheimer son second succès consécutif au box-office, avec plus de 6,8 millions de dollars de recettes sur le sol américain, et un total de 15 millions de dollars au terme de son exploitation mondiale. Nominé aux oscars 1965 dans la catégorie meilleur scénario, Le Train placera en outre brusquement son réalisateur en tête des spécialistes du film d’action à grande échelle, marquant malheureusement le début d’un terrible malentendu entre celui-ci et la majeure partie de la critique.


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